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May 30, 2013
Written By Christine Gilguy
L’assouplissement de la réglementation indienne sur le commerce de détail a créé un appel d’air pour les marques étrangères qui lorgnent sur une classe moyenne en pleine croissance. Les marques françaises sont à la traîne.
Il y a à peine un mois, Ikéa, le géant suédois de l’habitat, faisait la Une de la presse indienne et étrangère en annonçant une mise de près de 2 milliards d’euros pour lancer ses dix premiers magasins en Inde. Il venait d’obtenir l’agrément final du gouvernement indien pour investir 105 milliards de roupies (environ 1,95 milliard de dollars) pour créer 10 magasins dans les 10 prochaines années, et 15 autres en option. Des magasins sur le modèle qui a fait son succès en Europe, à une seule petite exception : si son agrément autorise la création de cafés et restaurants dans ses magasins, il exclut toute distribution de produits alimentaires conditionnés. Neuf mois après la décision du gouvernement indien d’assouplir la législation sur les investissements directs étrangers (IDE) dans le secteur du commerce de détail, l’arrivée de l’enseigne suédoise est emblématique de l’appel d’air provoqué par cette réforme. Elle a concerné deux segments :
• La distribution mono-marque : il est désormais possible aux enseignes monomarque de détenir 100 % d’une société (contre 50 % auparavant) en Inde.
• La distribution multi-marques : les sociétés étrangères peuvent désormais détenir la majorité des sociétés en jointventure (51 %) et s’installer dans les 53 villes de plus d’un million d’habitants que compte l’Inde. Mais la loi oblige les sociétés étrangères à faire 30 % de leurs approvisionnements en Inde, auprès de PME, et leur fait obligation d’investir un minimum de 100 millions de dollars dont au moins 50 % doivent aller, dans les trois ans de la première tranche de l’investissement, dans les infrastructures de « back-end » qui incluent un large champ de domaines (process, fabrication, distribution, design, contrôle qualité, etc.). En outre, chaque État indien doit donner son approbation…
LES CHIFFRES CLÉS
DU COMMERCE DE DÉTAIL
INDIEN
Le commerce de détail a cru de
10,6 % entre 2010 et 2012 et son
chiffre d’affaires global pourrait atteindre 750 à 850 milliards de dollars
d’ici 2015, selon des chiffres cités
dans une étude du cabinet Deloitte
Inde (4). Environ 60 % concernent
l’alimentation et l’épicerie, 8 % l’habillement, 6 % la téléphonie mobile
et les télécommunications, le reste
se répartissant entre la bijouterie, la
pharmacie, les services alimentaires
et les matériels électroniques.
Toutefois, le secteur organisé – qui
paye des taxes – ne représente que
8 % de ce total, contre 92 % pour
le secteur informel. Au sein de ce
commerce organisé, le secteur de
l’habillement pèse 33 %, l’alimentation et l’épicerie 11 %, tout comme la
téléphonie mobile et les télécommunications
C’est le secteur de la distribution monomarque qui répond le plus positivement à
l’ouverture indienne. Dans l’habillement
et la mode, les annonces se succèdent.
La marque britannique Pavers (chaussure), aurait été la première à obtenir un
agrément pour implanter une chaîne de
boutiques selon la nouvelle législation,
avec un investissement de 20 millions
de dollars. De son côté, le champion du
prêt-à-porter espagnol Zara (Inditex), qui
a testé deux premières boutiques dès
2010 à Delhi, a annoncé son intention
d’ouvrir 40 boutiques dans le pays. H&M
s’apprêterait à investir dans une joint-venture majoritaire, Puma à augmenter son
réseau. Pour ne citer que quelques exemples.
L’intérêt pour le marché indien de la part
des marques internationales est ancien
mais désormais avivé par l’émergence
d’une classe moyenne estimée, selon les
sources et les critères de définition, entre
150 et 200 à 300 millions de personnes
(une cinquantaine de millions pour le segment des plus hauts revenus). Il a d’abord
été favorisé par l’urbanisation et le développement de centres commerciaux en
milieu urbain : « La croissance du nombre de marques et d’enseignes de distribution internationales opérant en Inde
s’est accélérée depuis 2005, avec le
développement des investissements
indiens dans la distribution et l’immobilier
commercial sous la forme de Malls » souligne Devangshu Dutta, consultant indien
dont la société, Third Eyesight, est un
spécialiste du secteur.
Dans une étude intéressante, Devangshu
Dutta montre comment au fil des années,
des marques internationales ont fait leurs
premiers pas en Inde, sous la forme de
licence, franchises, ou de joint-ventures
avec des partenaires indiens (1). Mais
pour lui, ce ne sont pas les grands
groupes qui ont conduit cette vague :
« Ce sont les sociétés de taille moyenne
qui mènent la charge en Inde, d’avantage
que les géants du commerce de détail,
bien que ces derniers, à l’instar d’Ikéa,
Walmart, Carrefour suscitent plus d’articles dans les médias ».
Dans la distribution multi-marque, les
grandes enseignes, longtemps interdites
pour le commerce de détail par la réglementation indienne, restent toutefois
absentes. Trop timide et restrictive, la
réforme intervenue le 20 septembre 2012
ne les a pas convaincus et on attend toujours les annonces d’investissements des
grandes enseignes comme Walmart,
Tesco ou Carrefour, déjà présentes dans
le cash & carry. Les enseignes américaines et britanniques feraient un intense
lobbying pour obtenir de nouveaux assouplissements. Dans la liste de leurs récriminations à l’égard de la réforme, l’une
des principales portes sur le fait que les
dépenses effectuées dans le foncier ou
les loyers – très élevés en Inde – ne
soient pas comptés dans les investissements d’infrastructures de « back-end ».
« C’est clairement une orientation trop
restrictive », commente un article du libéral Asia Times (2). Le même article épingle aussi le fait que sur les 53 villes autorisées, seules une vingtaine sont
réellement ouvertes à ce jour à ce type
d’IDE en raison de l’opposition des États
indiens concernés… Seuls 10 États
indiens ont approuvé cette réforme à ce
jour (dont Delhi, Maharashtra et Haryana).
Il y a peu de chance que les enseignes
de la grande distribution occidentale
obtiennent gain de cause avant les prochaines élections générales, prévues en
2014. « Les Kirana Stores (ndlr : les petits
commerces), constituent un lobby très
puissant qui s’oppose à cette ouverture »,
Produits frais : une french touch dans la chaîne du froid
La chaîne du froid est embryonnaire en Inde. Un défi colossal
pour toute enseigne de supermarché habituée des standards
européens qui voudrait miser
sur l’Inde, et un créneau que
tente d’investir le savoir-faire
français.
« Dans nos pays, les pertes
entre la fourche et la fourchette
sont d’environ 10 %. En Inde,
ce taux est de 40 % environ ».
C’est ainsi que Gérard Cavalier,
président du Cemafroid, le Centre d’expertise français en
matière de chaîne du froid,
résume l’enjeu auquel fait face
l’Inde en matière de distribution alimentaire. Concrètement,
cela signifie, par exemple, que 40 % des fruits et légumes
produits en Inde ne parviennent jamais aux consommateurs…
Insuffisance ou absence d’infrastructures pour la collecte,
l’acheminement, la conservation et le stockage des marchandises : la chaîne du froid en Inde est encore à construire.
« Aujourd’hui, les distributeurs ont un intérêt majeur à avoir
une chaîne du froid, confirme le responsable », qui précise
que dans l’agriculture, celle-ci n’existe actuellement que pour
quelques produits, souvent très exportés, tels que les
pommes, les oignons et les pommes de terre. « Dans les
supermarchés, vous ne trouvez que peu de produits frais de
qualité à cause de ce problème ».
Alors, face au boom de l’urbanisation, les autorités indiennes
tentent d’accélérer la modernisation du secteur. Fruits et
légumes, produits laitiers, poissons, viandes : de nombreux
produits sont concernés. En l’occurrence « la chaîne du froid
est la priorité de la coopération franco-indienne » confirme
Gérard Cavalier, les Indiens considérant la France comme un
bon modèle dans ce domaine. « Leur situation ressemble à
celle que connaissait la France juste après la seconde guerre
mondiale », explique-t-il.
Le Cemafroid a conclu le 4 avril 2013 un accord de coopération à long terme avec son homologue indien, le NCCD
(National center for Cold Chain Development), un organisme
créé en 2011 sous la tutelle du ministère de l’Agriculture, doté
de 5 millions d’euros de budget (http://nhm.dacnet.nic.
in/NCCD/index.html). Cette coopération, qui doit se traduire
par la mise en œuvre d’un plan d’action, pourra prendre la
forme d’assistance technique, de formation, d’accompagnement des cadres du NCCD et des industriels indiens. « Les
industriels indiens sont très demandeurs, estime Gérard Cavalier, car la différence ne se fera pas sur la valorisation des produits mais sur la réduction des pertes ! Les distributeurs
indiens, et a fortiori étrangers, y ont intérêt ». Il espère que les
premiers programmes de formation seront mis en place au Les personnes présentes sur la tribune sont de gauche à droite :
M. Patrick Antoine, Président de l’AFF ; M. Didier Coulomb,
directeur de l’IIF ; M. Cédric Prévost, futur conseiller agricole du
ministère de l’Agriculture ; M. Philippe Vincon, co-président du
groupe de travail agricole franco-indien (Ministère de l’Agriculture) ;
M. Gérald Cavalier, gérant Cemafroid ; M. Sanjeev Chopra,
directeur NCCD (Ministère de l’Agriculture) ; M. Indra Maini
Pandev, Ambassadeur d’Inde en France ; M. Pawanexh Kholi,
NCCD Chief Advisor
deuxième semestre de cette année. Le chantier est immense
et l’Inde a appris aux étrangers à être patients et à voir à long
terme. Mais cette coopération pourrait avoir des retombées
concrètes, à terme, sur les fournisseurs français d’équipements et de services de la chaîne du froid qui ont été impliqués dès le départ dans cette approche. À la suite d’une mission d’expertise conduite par le Cemafroid en Inde en 2011
pour faire le diagnostic des besoins, l’idée d’organiser l’offre
française dans ce domaine sous la forme d’un consortium a
été lancée, avec l’Association française du froid (AFF). Ubifrance a organisé un colloque et une mission de rencontre
des acheteurs indiens de la filière en novembre 2012 à New
Delhi et Bombay à laquelle plusieurs grands noms du secteur ont participé tels que Le Petit Forestier (logistique du
froid), LeCapitaine (carrossier), Serap (système de refroidissement du lait)… Une démarche porteuse, à terme, de débouchés nouveaux.
C. G.
Pour en savoir plus :
www.association-francaise-du-froid.fr/ : on peut y consulter
le Rapport de mission menée par le Cemafroid en 2011.
www.cemafroid.fr/
Le site du tout jeune NCCD : http://nhm.dacnet.nic.in/
NCCD/index.ht
analyse Alain Bogé, consultant et spécialiste français du secteur de la mode en
Asie, vice-président du Business Fashion
Forum, un think tank dédié aux acteurs de
la mode (3).
C’est donc le mono-marque qui est, pour
l’heure, boosté par l’ouverture indienne.
Et dans ce secteur, les Français ont du
retard. Selon Third Eyesight, les marques
tricolores ne représentent que 10 % des
marques internationales implantées en
Inde. Les Américains sont en tête, suivis
des Italiens et des Britanniques (graphique page précédente). Hors luxe
– LVMH est très actif actuellement, avec
l’acquisition de son ancien partenaire
Genesis et de la marque indienne
Liliput –, les marques françaises sont
surtout présentes dans les produits cosmétiques et de soins de beauté. « Les
Américains et les Britanniques ont certainement l’avantage de la langue, l’anglais, avance Devangshu Dutta. Il est possible que les Italiens tirent avantage de
leur présence sur
d’autres marchés,
donc soient plus
visibles pour des
partenaires et consommateurs indiens
potentiels que les Français ».
Dans l’habillement, qui représente un tiers
de la distribution organisée (voir chiffres
clés), Alain Bogé reconnaît que les griffes
françaises ne sont pas légion : Promod,
Okaidi, Celio… « Elles sont encore rebutées par la complexité du marché » analyse-t-il. En premier lieu, le secteur est
encore très largement dominé par le commerce informel, dont font partie les kirana
stores, qui pèsent 92 % du marché selon
un chiffre cité par une étude du cabinet Deloitte (3). En outre, loin d’être unifiée,
l’Inde et ses 28 États sont multiples. Hors
du luxe, les success stories de marques
occidentales sont souvent celles d’une
bonne adaptation au marché local en
s’appuyant sur un partenaire indien – pas
toujours facile à trouver sans conseils ou
accompagnement extérieur –, qui connaît
bien le marché. « Les sociétés qui souhaitent réaliser un chiffre d’affaires significatif et générer des retours sur investissement en Inde doivent se doter d’une
stratégie de marque, et d’un mix produitprix-distribution adapté à l’Inde plutôt que
de faire un copier/coller de leur modèle
français ou international », confirme
Devangshu Dutta.
S’appuyer sur un partenaire indien
– même si on opte pour une filiale à
100 % – est en l’occurrence fortement
recommandé lorsqu’on n’a pas la puissance de frappe d’un Ikéa. Alain Bogé
insiste lourdement sur ce point rappelant
que Zara a commencé prudemment à
Delhi, en joint-venture, en testant une
boutique dans un
centre commercial.
« Il y a trois avantages à s’appuyer sur un
partenaire indien, résume le Français. Il
connaît les segments à attaquer et les
prix ; il sait à qui donner les dessous-detable pour faire avancer les dossiers dans
un pays où la corruption est endémique et
à tous les niveaux ; enfin, il peut éventuellement participer au financement,
sachant qu’un bon tiers des transactions
en Inde se font en cash. »
Pour ne parler que du prêt-à-porter et des
accessoires de mode, si les Zara, Mango,
Benetton et autre Esprit sont déjà instal lés, que de belles marques indiennes ont
d’ores et déjà émergé – Liliput, Fabindia… – il reste de nombreuses opportunités compte tenu du potentiel de croissance extraordinaire du secteur.
Alain Bogé est par exemple convaincu
que les marques françaises de la mode
enfantine ont une belle carte à jouer au
pays où l’enfant est roi. « Lorsque mes
amis indiens viennent en France, ils vont
faire leur shopping chez Bonpoint ou Tartine & Chocolat. Okaidi y est déjà, il faut y
aller » estime-t-il. Pour lui, les villes où il
faut être abritent les principaux pôles de
consommation du pays, avec une population jeune et ouverte à la nouveauté :
New Delhi la capitale, mais aussi Mumbai la capitale économique, suivies de
Bengalore, Hyderabad, Ludhiana ou
encore Ahmedabad. Mais surtout, ne pas
trop tarder : « Il faut y être dès maintenant
car les meilleurs emplacements et les
meilleurs partenaires seront pris d’ici
quelque temps ». La Chambre de commerce franco-indienne (CCIFI) organise
début juillet, en partenariat avec CCI International Nord de France, la première
conférence sur le commerce de détail en
Inde à Lille, au cœur de l’industrie de la
distribution française, le 9 juillet (5). Un
bon signe…
Christine Gilguy
(1) http://thirdeyesight.in/ : lire l’article « Entry
Strategy of global Brand – Impact of FDI »
(2) « India’s retail FDI bid fails to sell », 3 mai
2013, sur www. atimes.com
(3) www.businessfashionforum.com
(4) « Opening India retail », janvier 2013.
www.deloitte.com/…india/
(5) Contact : contact@ccifi.com
Source: LE MOCI
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